Mario Gattiker part à la retraite

Mario Gattiker a consacré 36 ans aux questions de migration. Et il ne s'est « pas ennuyé une seconde ». Il n'y a pas de sujet plus passionnant ni plus controversé et émotionnel, affirme-t-il à l'occasion de son départ à la retraite fin 2021.

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Au cours des 20 dernières années, Mario Gattiker a contribué à façonner la politique migratoire de la Suisse au sein de l'administration fédérale, les 10 dernières en tant que directeur de l'Office fédéral des migrations, devenu Secrétariat d'État aux migrations en 2015. Au cours de ces 20 années passées au Département fédéral de justice et police (DFJP), M. Gattiker a servi un conseiller fédéral et quatre conseillères fédérales. « C'était passionnant, parfois stimulant et toujours instructif. »

Rien qu'au cours des dix dernières années, pendant lesquelles M. Gattiker a dirigé l'office, beaucoup de choses se sont passées : Le SEM

  • a traité 230 000 demandes d'asile ;
  • a accordé l'asile ou ordonné une admission provisoire 130 000 fois ;
  • a délivré 8500 visas humanitaires ;
  • a réinstallé en Suisse 6000 réfugiés ;
  • a conclu trois nouveaux partenariats migratoires et 26 nouveaux accords migratoires ;
  • a révisé la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration à 17 reprises ;
  • a mis en œuvre 250 développements de l'acquis de Schengen.

À l'occasion de son départ à la retraite, M. Gattiker a passé en revue la décennie écoulée. Dix ans en dix mots-clés

Les nouvelles procédures d'asile Pfeil nach unten

Fin 2011, le DFJP s'est donné pour objectif de restructurer le domaine de l'asile et d'accélérer fortement les procédures d'asile, qui duraient souvent plusieurs années. La Confédération et les cantons ont développé ensemble une stratégie: décentraliser les procédures d'asile et mettre en place une étroite collaboration entre tous les acteurs concernées – y compris les représentants juridiques appelés à fournir des prestations gratuites en faveur des requérants d'asile – dans les centres fédéraux exploités par la Confédération.

Les nouvelles procédures ont été éprouvées et continuellement améliorées à partir de 2014 dans le cadre d'une phase de test menée en ville de Zurich. Les résultats positifs qui y ont été obtenus ont certainement été l'une des raisons pour lesquelles le peuple a accepté la nouvelle loi sur l'asile en juin 2016 avec près de 67 % de oui. Cette loi est entrée en vigueur le 1er mars 2019. Il s'est avéré que des décisions rapides dissuadaient souvent les migrants sans perspective de protection de déposer une demande d'asile chez nous.

Les nouvelles procédures accélérées fonctionnent. Les requérants d'asile savent beaucoup plus vite que par le passé s'ils peuvent rester en Suisse ou s'ils doivent quitter notre pays. Dans le premier cas, ils peuvent ainsi participer rapidement à un programme d'intégration, qui leur permet de bâtir une nouvelle existence ici.

J'ai toujours eu à cœur de veiller à ce que les procédures d'asile soient menées dans le respect de l'État de droit, même lorsque les délais sont raccourcis. Cette exigence est remplie, notamment grâce aux représentants juridiques qui accomplissent un travail important dans la procédure d'asile.

Réinstallation et relocalisation Pfeil nach unten

En ce qui concerne le domaine de l'asile, j'attire volontiers l'attention sur l'instrument de la réinstallation, qui a été « réactivé » en 2013 en raison de la crise syrienne. Il permet aux réfugiés les plus vulnérables, généralement des enfants et des femmes, d'entrer légalement en Suisse dans le cadre de contingents d'accueil et de trouver protection dans notre pays. Nous soulageons ainsi également les pays de premier asile économiquement faibles dans les régions en conflit. Pendant la crise des réfugiés de 2015 et 2016, nous avons aussi participé au programme de relocalisation, lorsqu'il s'est agi de décharger l'Italie et la Grèce, soit deux pays situés à la frontière extérieure de l'espace Schengen. Nous avons été parmi les quelques pays qui ont respecté leurs engagements et avons accueilli 1500 requérants d'asile.

Centres fédéraux pour requérants d'asile (CFA) Pfeil nach unten

Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'asile, le nombre de requérants d'asile qui séjournent pendant une période prolongée dans un de nos CFA a nettement augmenté. Pour cette raison, nous avons dû entièrement réorganiser l'exploitation des centres. Comme vous le savez, nous avons déjà procédé à certains ajustements. Nous déployons aujourd'hui davantage de personnel d'encadrement et moins de personnel de sécurité. Les personnes qui séjournent dans un CFA peuvent être sûres d'être bien traitées et avec respect. Nous ne tolérons aucun comportement incorrect et réagissons lorsque des collaborateurs ne respectent pas les règles.

Retour Pfeil nach unten

Une politique d'asile efficace et crédible suppose non seulement des procédures rapides et correctes, mais aussi une politique cohérente en matière de retour. À cet égard, nous sommes également sur la bonne voie. Le nombre de personnes qui retournent volontairement dans leur pays d'origine ne cesse de croître. Cette progression est principalement due au système sophistiqué d'aide au retour. Plus les requérants d'asile décident tôt de rentrer chez eux, plus le soutien financier est important. Mais surtout, nous pouvons offrir à nombre d'entre eux des perspectives d'avenir grâce à des projets mis en œuvre dans les pays d'origine dans le cadre de partenariats migratoires et d'accords migratoires.

Grâce à la bonne coopération avec de nombreux pays d'origine, nous pouvons également afficher de très bons résultats en matière de rapatriements sous contrainte : en 2019, 51 % des personnes ayant reçu une décision d'asile négative ont quitté notre pays de manière contrôlée, alors que dans l'Union européenne ce taux n'était que de 29 %. De nombreux États européens nous envient ce taux. Depuis 2011, nous avons pu exécuter 82 000 départs ou rapatriements contrôlés.

Sécurité Pfeil nach unten

Dans le contexte du conflit syrien (État islamique) et des attentats terroristes de Paris et de Bruxelles notamment, le thème de la sécurité a lui aussi gagné en importance au SEM. La coopération avec d'autres États s'est intensifiée, par exemple grâce à de nouveaux instruments Schengen (SIS II, domaine de l'entrée et des visas, fusion de bases de données, entendez interopérabilité). En outre, nous avons intensifié notre collaboration avec les autorités fédérales compétentes en matière de sécurité, en particulier avec le Service de renseignement de la Confédération et fedpol. Le SEM compte aujourd'hui dans ses rangs un délégué à la migration et à la sécurité intérieure, qui est rattaché à la direction.

Politique migratoire extérieure Pfeil nach unten

La pression migratoire est plus forte que jamais. C'est pourquoi la politique internationale et suisse en matière de migration et de réfugiés doit commencer à se déployer déjà dans les régions d'origine et le long des routes de fuite - dans le sens d'une politique extérieure active en matière de migration. Qui plus est, la politique nationale d'asile doit s'inscrire dans la politique européenne en matière de migration et d'asile. La Suisse est en effet associée à Schengen et fait donc partie de l'espace Schengen.

La Suisse déploie une politique migratoire extérieure très active :

  • Elle apporte une aide sur place et s'efforce de prévenir les mouvements de fuite et la migration irrégulière. Nous apportons une aide humanitaire et soutenons les autorités locales dans la mise en place de structures durables et efficaces.
  • La Suisse a une approche de coopération fondée sur le partenariat avec les pays d'origine et de transit, et cette approche nous réussit très bien.
  • Le Conseil fédéral reconnaît lui aussi l'efficacité de la politique migratoire de la Suisse : il a décidé cette année d'augmenter progressivement le crédit correspondant (crédit IMZ) du SEM, de 12 millions de francs aujourd'hui à 15-16 millions.
  • Les départements concernés (DFAE, DEFR et DFJP) collaborent étroitement dans le cadre de la structure IMZ.
  • Le nouveau message du Conseil fédéral sur la coopération internationale 2021-2024 prévoit pour la première fois une certaine flexibilité dans l’utilisation des fonds. 15 millions de francs du budget de la DDC sont affectés chaque année à des pays sélectionnés « sur proposition du SEM ». Le lien stratégique que le Parlement demande d'établir entre la coopération internationale et la politique migratoire est donc mis en œuvre, notamment dans le cadre de la coopération entre le SEM et la DDC.
  • Nous comptons en tout six partenariats migratoires et un septième va être conclu sous peu. En outre, nous pouvons nous appuyer sur plus de 60 accords migratoires. À ma connaissance, aucun pays n'en a conclu autant.
  • Et nous attachons beaucoup d'importance à la coopération et au renforcement des organisations internationales comme le HCR et l'OIM. Ces organisations sont actuellement très sollicitées et jouent un rôle extrêmement important, par exemple dans la crise afghane. C'est l'une des leçons de la crise des réfugiés de 2014-2015.

Une politique cohérente en matière d'asile et de retour Pfeil nach unten

Notre politique cohérente et crédible en matière d'asile et de retour ainsi que notre politique migratoire extérieure active se reflètent dans le taux de protection, qui est aujourd'hui d'environ 60 %. Peu après mon entrée en fonction en 2012, il s'élevait à environ 19 %. Dans le même temps, la Suisse a reculé dans le « classement » des pays européens de destination des requérants d'asile. Cela signifie en d'autres termes que les demandes d'asile déposées en Suisse émanent avant tout de personnes qui sont tributaires de notre protection. Les personnes qui n'ont pas droit à notre protection doivent quitter la Suisse rapidement et renoncent donc la plupart du temps à y déposer une demande d'asile. Elles poursuivent leur voyage vers des pays dans lesquels les procédures d'asile promettent un séjour plus long ou dans lesquels les renvois ne sont pas exécutés de manière aussi systématique que chez nous. Neuf migrants sur dix appréhendés à Chiasso repartent en Italie, car ils ne veulent pas déposer de demande d'asile en Suisse. Au cours des cinq dernières années, quelque 125 000 personnes ont ainsi été remises aux autorités italiennes à la frontière parce qu'elles tentaient d'entrer irrégulièrement dans notre pays.

Immigration légale et libre circulation des personnes Pfeil nach unten

Peu de pays sont aussi marqués par l'immigration que la Suisse. Cette immigration résulte en grande partie de la libre circulation des personnes que nous avons convenue avec l'UE. L'afflux constant de main-d'œuvre en provenance de l'UE répond aux besoins de notre économie, mais suscite également des craintes et des réactions de défense. Celles-ci se sont notamment manifestées lors de l'acceptation de l'initiative sur l'immigration de masse, le 9 février 2014. En conséquence et en réponse à cette décision populaire, la Suisse a réglementé plus strictement l'immigration légale, qu'elle gère aujourd'hui plus activement que par le passé :

  • Le potentiel offert par la main-d'œuvre présente en Suisse est encouragé par différentes mesures, l'une des plus importantes étant certainement l'obligation d'annoncer les postes vacants. L'immigration dans le marché du travail doit combler uniquement les besoins qui ne peuvent être couverts par la main-d'œuvre présente en Suisse. Il s'agit d'éviter ainsi que l'immigration se répercute négativement sur les conditions de travail et de rémunération dans notre pays.
  • Une intégration réussie est une condition préalable à l'octroi d'une autorisation d'établissement ou à une naturalisation. La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration et la loi sur la nationalité ont été modifiées en ce sens. En cas de manque de volonté d'intégration, les autorisations peuvent être révoquées.

Toutes ces mesures visent à préserver la paix sociale en Suisse. Un objectif qui est loin d'être évident dans un pays qui réunit quatre langues et cultures différentes et qui est fortement marqué par l'immigration. Concilier les intérêts d'une économie prospère et forte, d'une part, et la cohésion sociale, d'autre part, reste un défi permanent. Jusqu'à présent, je pense que nous avons plutôt bien réussi.

Intégration Pfeil nach unten

Dans ce domaine aussi, nous nous trouvons dans une situation très différente de celle d'il y a dix ans. En 2014, nous avons lancé, en collaboration avec les cantons, les programmes d'intégration cantonaux (PIC), qui permettent d'exploiter et d'encourager le potentiel des migrants de manière plus ciblée et uniforme. En réponse à la crise des réfugiés de 2015, nous avons complété les programmes d'intégration cantonaux de 2018 par l'Agenda Intégration Suisse, lequel vise à ce que les réfugiés et les personnes admises à titre provisoire en particulier puissent prendre pied rapidement et durablement dans notre monde de la formation et du travail. À cet effet, la Confédération a majoré le montant du forfait d'intégration. En contrepartie, les cantons suivent un processus d'intégration valable pour tous. Il doit s'amorcer tôt et comprend une évaluation complète du potentiel, un accompagnement continu ainsi que des mesures garantissant que les personnes concernées apprennent rapidement l'une de nos langues nationales et peuvent bénéficier d'offres de formation. Notre objectif commun est que deux tiers des jeunes suivent un apprentissage après cinq ans et que la moitié des adultes soient intégrés dans le marché du travail après sept ans. En complément, la Confédération a lancé, en collaboration avec les cantons et les organisations du monde du travail, les préapprentissages d'intégration, qui préparent les jeunes de manière ciblée à un apprentissage professionnel. Les premiers résultats sont prometteurs. En effet, environ deux tiers des participants ont trouvé une place d'apprentissage au cours de la première année.

Nous investissons beaucoup d'argent dans ces mesures d'intégration, mais nous en économiserons beaucoup plus dans le domaine social si, après un certain temps, les bénéficiaires peuvent subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches.

Le SEM Pfeil nach unten

Lorsque j'ai pris la direction du SEM en 2011, la satisfaction des collaborateurs et l'identification avec l'office étaient au plus bas. Le SEM a connu des années difficiles. Au cours des dix dernières années, nous avons déployé beaucoup d'énergie dans la culture de l'office et la culture de direction, avec un accent particulier sur la participation des collaborateurs et de la commission du personnel. Nous savions que nous pouvions recourir à une expertise considérable. Ces efforts se sont avérés payants : nous avons mis en œuvre la révision de la loi sur l'asile et la refonte du système d'asile pratiquement par nos propres moyens et sans grand soutien extérieur. De nombreux collaborateurs du SEM ont contribué aux bons résultats de ce projet complexe et coûteux. Ce fut un travail d'équipe dont je suis fier.

Nous avons également progressé de manière constante dans les enquêtes sur le personnel et nous nous trouvons désormais dans la première moitié du classement de l'administration fédérale. Pour un office aussi exposé et aussi souvent critiqué que le nôtre, c'est une belle performance. En effet, n'oublions pas qu'au cours des dix dernières années le SEM a dû faire face à pas moins de trois crises qui ont eu un impact très important sur le domaine de la migration:

  • le « printemps arabe » en 2011 et 2012,
  • la « crise des réfugiés » en 2015
  • et la pandémie de coronavirus l'année dernière. Cette épidémie a eu des répercussions importantes tant dans le domaine de l'asile que dans celui de la migration légale, souvenons-nous des frontières fermées, des restrictions d'entrée et des photos de couples d'amoureux désespérés à Kreuzlingen. Aussi les collaborateurs du SEM ont-ils été sous tension permanente.

Je suis très heureux de pouvoir transmettre à Christine Schraner-Burgener la direction d’un SEM performant et bien organisé.

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La fin d'une époque

Le SEM sans Mario Gattiker ? Difficile de se l'imaginer. Il est probablement le seul à avoir autant marqué la politique migratoire suisse. Sous sa direction, le SEM est devenu une autorité migratoire que beaucoup d'États européens nous envient. Mario Gattiker a dénoué des crises, mis en place le nouveau système d'asile basé sur les procédures accélérées et établi une collaboration efficace avec les cantons et, dans le domaine du retour, les États partenaires européens et de nombreux pays d'origine des requérants d'asile ; il a aussi institué une politique d'intégration couronnée de succès. Rares sont les pays qui savent aussi bien que la Suisse offrir des perspectives de vie et de travail durables à des personnes issues d'autres cultures. Même si nos rapports avec l'Union européenne ont déjà été plus simples, les relations bilatérales et la libre circulation des personnes continuent de bien fonctionner et contribuent ainsi à notre prospérité. Mario Gattiker n'y est pas étranger, lui qui n'a pas compté ses heures pour négocier à Bruxelles et y expliquer les particularités de la Suisse.

J'ai vu en Mario Gattiker un directeur extrêmement compétent, déterminé et engagé. Analyste brillant doté d'une grande vivacité d'esprit, il aime les défis et est au mieux de sa forme lorsque la pression est la plus forte. Hors de la scène politique et des projecteurs médiatiques, j'ai aussi découvert en lui un interlocuteur plein d'humour, chaleureux, curieux et ouvert. Sa capacité à dialoguer avec les personnes qu'il rencontre, à rire avec elles, à les écouter et à prendre chacune au sérieux a ouvert bien des portes, même dans des situations difficiles. Mario Gattiker va nous manquer, à moi et à beaucoup d'entre vous – en tant que directeur mais aussi sur le plan humain. Mais je suis persuadée que nous aurons encore l'occasion de le revoir dans un autre cadre.

Bon vent, Mario !

Signature kks

Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale
Berne, novembre 2021